Devenir parent, l'aventure du XXIème siècle ?

[INTERVIEW] Eliane Le Jeune-Bézard et Jean-Marie Bézard : « Être parent se construit progressivement »

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28 février 2022
Depuis les années 80, la notion de parentalité évolue. Les structures familiales et la prise en charge des enfants changent. Eliane Le Jeune-Bézard et Jean-Marie Bézard, co-directeurs du comité scientifique du R2IP (le Réseaux internationale de l’innovation et de la prospective) et en charge du projet « prospective de la parentalité » dans le cadre d’ECOPOSS 2022 répondent à nos questions.   
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enfants et parents
Image d'illustration @Rawpixel.com sur AdobeStock

On retrouve souvent dans vos travaux la notion de “devenir parent”, que signifie-t-elle ?   

Eliane : Parents, c‘est une personne qui prend la responsabilité, pour aimer d’un amour inconditionnel, éduquer et accompagner l’enfant, le jeune, l’adulte dans sa vie. Elle lui donne l’ensemble des soins, de l’attention et l’initie à l’humanité : la confrontation à la loi, aux limites et à sa place dans les générations.  

Jean-Marie : être parent c’est au fond se centrer d’abord sur la personne de l’enfant et ce, dès le début mère ou père de l’enfant ou un tiers faisant fonction ou représentation. 

 

Comment a évolué cette notion de parentalité ?    

JM : le concept même de parentalité apparait au début des années 80, c’était un moment historique. Nous commencions à comprendre qu’être parent ne va pas de soi, que la question de l’instinct maternel et paternel n’était pas quelque chose d’innée, mais qu’il s’agit d’une construction.  

Être parent se construit progressivement dans une interaction entre l’enfant, le parent et son milieu, et ses propres parents intériorisés, d’où la question du « devenir parent ». Quelle attention je donne à cet enfant qui cherche à se construire ?  

 

Nous ne sommes pas parents du jour au lendemain avec la conception, la naissance ou l’accueil de son enfant.

 

Vous organisez un atelier prospectif lors de la Biennale ECOPOSS, pouvez-vous m’en dire plus ?   

E : Pour la Biennale ECOPOSS, nous allons traiter la question et l’affirmation « osons devenir parent ?! ».  Avec l’équipe de préparation, nous avons choisi le mot “devenir” pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est une aventure et on peut la refuser pour différentes raisons. C’est une aventure en continu. Nous ne sommes pas parents du jour au lendemain avec la conception, la naissance ou l’accueil de son enfant. Tout au long de notre vie, nous devons continuer de le devenir, en traversant les étapes de vie avec le ou les enfants, dans des contextes eux-mêmes en évolution. Nous nous posons la question d’une part du point de vue de l’enfant et de son développement, et d’autre part, avec une attitude prospective, centrée sur la fonction « faire parent », quel que soit le statut de la personne qui est auprès de l’enfant et qui l’aide dans son propre devenir.  

    

Vous travaillez notamment avec l’OPOI (Observatoire de la parentalité dans l’océan Indien), quel est le but de cette organisation ?   

JM : Nous sommes partis du constat que la parentalité posait question en lien avec l’évolution des formes familiales traditionnelles. Les adultes et les enfants avaient du mal à s’y retrouver et donc, au sein de l’OPOI, nous avons décidé de mettre en commun une réflexion pour confronter nos manières d’exercer la parentalité de façon à s’entraider dans nos évolutions et dans notre compréhension des enfants. Mais aussi dans la construction de politiques qui soient véritablement au soutien du développement des enfants et des parents. C’est dans cet esprit que nous allons animer la prospective de la parentalité lors de la Biennale ECOPOSS, c’est-à-dire ne pas juger, écouter et comprendre. S’il y a des structures familiales différentes dans d’autres pays, essayons de comprendre. « Papa, maman et les enfants » c’est une structure récente, limitée dans le temps.   

 

Observer ces structures différentes pourrait nous aider à compléter la réflexion que l’on a sur la parentalité ?   

JM : Bien sûr, pour ne pas s’enfermer dans nos prismes. La prospective propose d’aller plus loin que nos points de vue. Mettons en question nos préjugés, mettons en commun nos savoirs, notre culture. Le but est d’essayer de discerner quel futur souhaitable nous désirons. C’est très important parce que dans ce monde d’incertitudes et de violences craintes et ressenties dans lequel nous sommes. Si nous ne nous écoutons pas dans nos différences, nous allons renforcer les oppositions et nous allons construire des solutions qui ne vont pas convenir à beaucoup de pays.  L’énonciation d’un certain nombre de normes, de notions comme le concept de parentalité positive, par exemple, sont intéressants. Cependant, ils peuvent produire des injonctions et des difficultés dans certaines cultures ou familles, car les parents se sentent obligés de se comporter de telle ou telle manière alors qu’ils ne le ressentent pas vraiment. Cela augmente leur taux de culpabilité, quand ils sont dans l’incapacité de mettre en place ces concepts. De la même manière que porter attention aux enfants est nécessaire, il est également important de prendre en compte les parents.  

E : Cela correspond à ma conviction profonde, c’est vraiment ce que l’on apprend quand on fait de l’observation du bébé dans sa famille. Si l’on veut que les parents soient en capacité de donner des soins et de l’attention, et transmettent progressivement des repères clairs, c’est à eux qu’il faut porter attention également.  

 

Vous pensez qu’il est nécessaire d’avoir des structures d’accompagnement des parents ?    

JM : Des offres, ponctuelles ou plus longues, d’accompagnement et/ou de rencontres avec d’autres, qui soient des recours en cas de difficultés ou de questions au quotidien qui tourmentent.  Offrir la possibilité de présences qualitatives, d’écoute et d’accompagnement à élaborer pour trouver, créer ses propres positionnements et solutions. Mais cela suppose une interaction non-projective, ou normée c’est-à-dire les écouter, les accueillir sans projeter nos propres solutions, angoisses ou problématiques. Cet accueil écoutant a souvent une fonction apaisante car dépourvu d’enjeu éducatif envers le parent. Elle doit aider les parents à s’écouter parler. Eliane a une expression : « Il faut un lieu pour penser ses pensées, ses émotions ». Un lieu pour mettre ses mots sur ses peurs, ses craintes.  

E : Quand on dit accompagner, on ne dit pas conseiller. Il s’agit de cheminer, un peu, à côté d’eux. Et pour cela, favoriser des espaces qui leur permettent de penser ce qui leur arrive et ce qu’ils veulent en faire, et parfois cueillir de bonnes idées et des forces auprès d’autres parents. 

   

 

Eliane Le Jeune-Bézard et Jean-Marie Bézard, susciteront, avec l’équipe « parentalité » du réseau international de prospective et d’innovation, l’aide de deux professeurs et praticiens  de  psychologie clinique de l’Université Catholique  de Lille, le soutien de l’Observatoire de la parentalité dans l’océan Indien, et d’autres intervenants, les réflexions des participants sur la parentalité, pour aujourd’hui et les années à venir, au cours d’un atelier d’échange prospectif ouvert à tous lors de la Biennale ECOPOSS du 26 au 30 en octobre 2022.  

Elisa DESPRETZ

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