Nos imaginaires, guides vers des futurs plus désirables ?

Cyril Dion : “le monde peut-il être autrement si on n’arrive pas à l’imaginer ?”

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20 avril 2023

Réalisateur, écrivain, militant écologiste, et bientôt showrunner, Cyril Dion a de nombreuses casquettes. Lors du festival Séries Mania qui s’est déroulé du 17 au 24 mars, à Lille, il était l’invité de la conférence “Que peuvent les séries pour l’écologie ?” pour discuter de l’importance des récits et contre-récits pour le futur.
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Cyril Dion et Olivia Gespert lors du festival Series Mania à Lille ©Bérénice Rolland

Annoncé jeudi 23 mars, le nouveau projet de Cyril Dion va bientôt voir le jour : il sera le showrunner d’une nouvelle série d’anticipation appelée « We could Be heroes ». Dans le cadre du festival Series Mania, à Lille, le militant écologiste était l’invité d'Olivia Gespert, journaliste à France Culture, lors d’une conférence mêlant fictions et avenir de la planète.  

Zombies, catastrophes, apocalypses, ces éléments participent régulièrement à créer des séries à succès. Aujourd’hui, les séries comme The Walking Dead ou The Last of Us, n’ont plus leur réputation à faire. Ces récits attirent les spectateurs et à travers eux, explorent les futurs possibles. Une de leur principale vertu, affirme Cyril Dion, est de rendre le drame tangible. C’est le cas de la mini-série “Chernobyl” qui nous plonge au cœur d’un des accidents nucléaires les plus tragiques de notre histoire. Rien ne nous est épargné, jusqu’à la peau qui s'effrite des hommes irradiés. Pour Cyril Dion, « on perçoit la souffrance des gens et, ce qui peut parfois être minimisé par certains, tout à coup, devient réel ».   

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Des personnages de la série Chernobyl ©HBO

Entre fictions et réalité 

« Chernobyl a laissé une empreinte dans nos imaginaires ». La question est maintenant de savoir comment faire pour que ce type de catastrophe ne se reproduise pas. Récemment, un nouveau nom est apparu dans l’actualité : « Zaporijjia ». « Zaporijjia, qu’est-ce que cela réveille dans nos cerveaux ? », Cyril Dion associe ce nom à celui de Chernobyl. A cause du conflit armé actuel, la centrale nucléaire de cette ville Ukrainienne pourrait se retrouver sans eau et donc, sans possibilité de refroidir son cœur de réacteur. Le spectateur a peur de vivre ce qu’il a vu dans la série Chernobyl.  

D’un autre côté, Cyril Dion estime que même après l’effroi causé par une catastrophe de cette ampleur, l’Homme oublie très vite les risques. Cette ambivalence « révèle quelque chose de l’ordre de l’instabilité du monde », raconte-t-il. « Construire des réacteurs nucléaires un peu partout sur la planète dans un monde où le changement climatique va faire rage et où les conflits seront de plus en plus présents, est-ce raisonnable ? Il me semble que la série pose cette question et que la situation en Ukraine aujourd’hui devrait rallumer cette petite inquiétude en nous »

Le savoir n’entraîne pas forcément la prise de décision 

Accident nucléaire, pandémie, changement climatique… à chaque fois l’origine d’un même problème. Cyril Dion analyse : « La grande difficulté que l’on a pour réagir, face à ce type de situations, c’est notre incapacité à nous mettre d’accord sur ce qui est en train de se produire ». Pour contrer cela, nous avons besoin d’entendre une forme de réalité scientifique, la plus objective possible : « On voit bien qu’avec le changement climatique, des scientifiques nous ont alerté pendant des années. En parallèle, des entreprises comme Total, Exon, Shell, ont embauché d’autres scientifiques pour affirmer que l’on n’est pas sûr que le changement climatique existe vraiment ou qu’il soit d’origine anthropique ». Pendant que ce doute subsiste, que la parole des scientifiques est remise en question ou dispersée, on ne peut agir.  

Le secteur du nucléaire est aussi un exemple. « Il existe une sorte d’omerta du secteur, comme dans beaucoup d’industries » qui tend à minimiser les risques. Cyril Dion cite alors la célèbre phrase du philosophe Jean-Pierre Dupuy qui n’a eu de cesse d’alerter sur le péril nucléaire : « Nous ne croyons pas ce que nous savons ». Et poursuit : « Nous aimons continuer à faire comme si une catastrophe ne pouvait pas se produire, le récit de Chernobyl prouve pourtant, le contraire »

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Apagón © Emilio Pereda

Les séries anticipent le monde de demain  

Les séries peuvent avoir un rôle prémonitoire. C’est un laboratoire d’expériences où l’on peut imaginer comment notre société réagirait à certains événements. Elles mettent en lumière les lacunes de notre organisation. Concernant la crise écologique, les séries ont aussi un rôle éducatif : celle de faire prendre conscience aux spectateurs des difficultés futures. 

Apagón” est une série au rôle pédagogique : elle nous montre les conséquences d’une vaste panne d’électricité sur terre suite à une tempête solaire. Un récit qui fait écho à la crise énergétique que nous vivons. Cyril Dion souligne : « Lorsque l’on vit une panne d’électricité, on reprend conscience de l’immense dépendance énergétique que l’on a créée ». 

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Zach Dilgard dans la série Extrapolation © Apple TV+

C’est aussi ce que met en avant la série « Extrapolation ». Dans ces huit épisodes, cette fiction dessine les conditions de vie futures. L’ensemble des facettes du quotidien sont affectées par le changement climatique. Sur une période de 33 ans, “Extrapolation” met en scène des personnages qui assistent à des catastrophes telles que la montée des eaux ou de grands feux. L’ensemble de la série repose sur les estimations des scientifiques. En la regardant, le spectateur peut imaginer les impacts sociaux et éthiques du changement climatique et donc anticiper le monde de demain.  

Les fictions pré-scénarisent nos comportements 

La mise en récit de ces scénarios ne signifie pas que nous sommes prêts. Un regard en arrière sur la crise sanitaire suffit à nous le rappeler. « En dépit des œuvres sur le sujet, nous sommes restés sidérés », se souvient Cyril Dion. Pour autant, l’imaginaire nous permet d’anticiper un certain nombre de situations et la façon dont nous pourrions réagir. Il cite le célèbre écrivain Alain Damazio : « Les fictions peuvent servir à pré scénariser des comportements ». Si dans des films, vous voyez des gens réagir d’une certaine façon à une situation, le jour où vous serez confronté à la même situation, vous serez peut-être tenté de réagir de même. 

Pour l’écrivain Cyril Dion, la responsabilité des faiseurs d’histoires est en jeu : « Si on montre uniquement des situations catastrophiques avec des gens qui s’entre-tuent ou animés par des pulsions violentes, si on montre un horizon bouché, dystopique, il y a une forme de profession auto-réalisatrice ». Les Américains ont ainsi développé un imaginaire futuriste basé sur l’univers de Mad Max et le survivalisme, pas très rassurant. A l’inverse, « si on est capable de créer des fictions où l’on voit des gens qui coopérèrent, s’entraident, trouvent des solutions ensemble, peut-être que cela va nous aider le jour où une catastrophe arrivera ». L’idée est de s’appuyer sur notre imagination, pour créer de nouvelles choses, un meilleur futur, car « comment le monde peut-il être autrement si on n’arrive pas à l’imaginer ? ».

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The Fortress ©Lukas Salna / Maipo Film-Viaplay

Les séries peuvent également être un moyen de rassembler l’humanité autour de la cause écologique. “The Fortress” élabore un futur où le réchauffement climatique entraîne une crise migratoire. La Norvège met en place une politique stricte. Le pays devient autosuffisant et construit des murs autour de lui. Les Hommes de l’extérieur ont alors pour objectif d’atteindre ce paradis sur Terre : l’intérieur de l’enceinte. Mais une épidémie va se déclarer et le paradis se transformer en prison. La série montre que le projet de créer un paradis pour une poignée de personnes n’est pas viable pour sauver la planète. Cyril Dion souligne l’importance du collectif dans cette préparation à l’avenir, car quand on parle de la planète l’individualité, ne fonctionne pas, le climat dépasse les frontières : « Il faut trouver une solution pour tout le monde ! »

 

Les séries dont on parle :

  • The Walking Dead - épisode final diffusé en novembre 2022 - disponible sur Netflix.
  • The Last of Us - diffusé en janvier 2023 - disponible sur Amazon Prime.
  • Chernobyl – diffusé en 2019 – disponible sur Amazon Prime.
  • Apagón – diffusé en septembre 2022 – disponible sur la plateforme movistar + en Espagne.
  • Extrapolation – diffusé en mars 2023 – disponible sur Apple TV+.
  • The Fortress – sortie prévue en 2023.

 

 

Elisa DESPRETZ & Bérénice ROLLAND

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