
A environ 24 mètres au-dessus du sol, une variété étonnante de végétaux a pris racine sur le toit du Hang’Art Créatif, lieu de création artistique fondé par l'Université Catholique de Lille. Framboisiers, menthe ou encore mûriers s’épanouissent pêle-mêle, bravant le froid. A la manœuvre : Jean-Bernard Wasselin, fondateur de l’entreprise « un Jardin sur le toit », la première du genre dans la région. Ce passionné de toitures végétalisées revisite à sa façon les toits de la ville de Lille. Et il fait des miracles : « Près de 125 variétés différentes de vivaces qui ont des périodes de floraisons de mars à fin novembre » sont représentées sur ce toit, s’enthousiasme Jean-Bernard.
Plus on attire d’insectes, plus on attire d’oiseaux, et plus on arrive à rééquilibrer l’ensemble.
Le toit est dessiné en plusieurs îlots chacun avec sa spécificité. Un carré est même dédié aux botanistes. Ils peuvent tester « quelles plantes poussent dans quel type de substrat ». Un autre contient des plantes médicinales. Le site est ouvert aux étudiants qui peuvent venir « étudier, mais aussi se détendre ou simplement respirer », explique Jean-Bernard qui a répondu à un cahier des charges lancé par la FGES. Un travail paysager qui ressemble davantage à ce qui pourrait exister dans un jardin que sur un toit.
Le milieu est propice à la biodiversité. Jean-Bernard a pris soin d’introduire des morceaux de bois aux essences différentes pour attirer les insectes. Les abeilles colonisent les fleurs presque toute l’année. De même, il a prévu une mare pour les oiseaux, « avec des cailloux pour qu’ils puissent se laver les ailes et boire sans se noyer ». Pour ce botaniste de formation, « plus on attire d’insectes, plus on attire d’oiseaux, et plus on arrive à rééquilibrer l’ensemble ». A terme, il souhaite ramener de la vie dans des lieux « à la base stériles ».
Je ne suis pas poseur de moquette.

Toiture extensive vs. toiture intensive
Jean-Bernard est un cas à part dans la profession. Il distingue deux types de toitures : la « toiture extensive où l’on ne travaille qu’en monoculture de sedums » , une plante grasse qui a l’avantage d’être plus économique, mais s’avère très pauvre en biodiversité ; « la toiture intensive » plus coûteuse, mais favorable à un large écosystème. Il critique ouvertement les étancheurs qui, pour répondre au besoin de végétaliser à tour de bras, ne jurent que par la toiture extensive. Selon lui, près de 90 % des toits verts créés seraient des toits extensifs. Pour ma part, « je ne suis pas poseur de moquette », s’indigne-t-il.
« Beaucoup de spécialistes sont issus du milieu du bâtiment et pour comprendre comment fonctionne un toit vert, on est venu normaliser le secteur », explique-t-il. Le coût des matières premières, en hausse constante, justifie aussi ce choix fait par les professionnels. On est dans l’économie de construction. Mais cet argument n’est pas tout à fait valable, nous démontre Jean-Bernard. Il suffit de calculer autrement : « 10 cm de substrat permettent de gagner 1°C de climatisation. Et si l’on transforme ce résultat en coût énergétique alors, à la fin de l’année, on est gagnant ».
Les différents types de toitures végétalisées Une toiture "extensive" comporte une faible épaisseur de terre et une forte densité de végétaux, mais peu diversifiés. Elle est a priori plus adaptée à des toitures de grandes superficies, y compris inclinées, car elle est peu coûteuse et nécessite peu d'entretien (y compris arrosage). L'inconvénient est qu'elle ne peut pas être cultivée ni fréquentée, et que le choix d'espèces est plus limité (mousses, plantes vivaces sauvages, graminées, etc.). Une toiture intensive ou semi-intensive se caractérise par une plus grande diversité d'espèces végétales, qui nécessitent de ce fait plus d'entretien et d'arrosage. Elle convient aux toitures plus petites et peut-être aménagée en terrasse, jardin ou potager. Source : Certu |
« Un rempart » face au changement climatique
« La technique n’est pas nouvelle », rappelle Jean-Bernard. Les êtres humains ont toujours utilisé les toits comme surface pour se protéger. Il y a des milliers d’années, les peuples scandinaves et vikings construisaient leur maison avec une toiture végétale pour s’isoler du froid et de la pluie. Aujourd’hui, il en va de même.

Parmi les bienfaits : le substrat agit comme un rempart, ce qui évite les déperditions de chaleur l’hiver et garde la fraîcheur en hiver, il réduit l’effet des îlots de chaleur en ville (en évitant la réflexion directe du soleil au contraire des couvertures en zinc ou acier), et double la durée de vie des toitures. Autant de leviers pour lutter contre le changement climatique. Et il est urgent d’agir. Le secteur du bâtiment est responsable de 17% des émissions de gaz à effet de serre et représente 45% de l’énergie consommée en France.
« Le potentiel est énorme ». Jean-Bernard, pointe du doigt les toits alentour, et interroge « mais où est le vert dans tout ça ? ». A l’échelle de la ville, les toitures plates et semi-plates représentent trois fois la surface actuelle des espaces verts. Un enjeu pour la municipalité de Lille qui propose une aide à la végétalisation des toitures depuis 2010. Le but : encourager les particuliers, bailleurs sociaux et promoteurs privés à se lancer. Pour Jean-Bernard, la politique des subventions à outrance a aussi ses limites, « la ville doit d’abord montrer l’exemple sur ses propres bâtiments ». Il continue, « pourquoi ne pas commencer par les écoles ? » Les enfants vivant en ville sont souvent déconnectés de la nature. Il préconise de ramener un peu de verdure dans leur quotidien. Quant au futur, Jean-Bernard reste optimiste sur une prise de conscience qui commence à voir le jour, exacerbée par le confinement.
Bérénice ROLLAND
Pour aller plus loin :
Les toits verts se multiplient dans les villes françaises - Le Monde
Optimisation de la biodiversité sur les toitures végétalisées - Guide BBP
A lire :
Toits et murs végétaux de Nigel Dunnet et Noël Kingsbury
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